« Une polyspacialité, un enchevêtrement constitue la ville réelle. Au dessous ou dans les anfractuosités, il y a d’autres spatialités plus invisibles, plus fantomatiques mais tout aussi réelles et puissantes : il y a une ville imaginaire dans toutes les villes. »

Jean-Marc Besse, philosophe et historien, auteur de Habiter un monde à mon image, Flammarion, Paris 2013.

 

« L’intégralité du Temps est ici et maintenant, et non pas « là-bas » ou « jadis ». Ce qui reste du passé, ce sont des restes ou des détritus, que le temps, c’est-à-dire le présent en train de se faire, ne cesse d’accumuler et d’écraser. »

L’archéologue Laurent Olivier, dans Le Sombre Abîme du temps, éditions du Seuil, Paris, 2008

 

Démarche de création développée par TANGIBLE, l’archéographie agit dans les espaces en renégociation.
Pour inventer le futur, l’archéographie s’attache aux événements du passé qui continuent d’agir sur le paysage présent.

Le diagnostic sensoriel

 

L'archéographe se met à l’écoute du pouls du terrain. Il procède à une forme d’auscultation de l’espace pour entendre ce que les points précis de chaque « organe-espace » ont à révéler. La surface du terrain est perçue comme une peau, membrane entre l’intérieur et l’extérieur. Elle est à la fois frontière et accès à la profondeur. Pour cette auscultation, l’archéographe utilise ses sens, son ressenti, son intuition et ses fulgurances.

Les archéographes explorent le terrain en alliant le sensible à la technique. Le corps sensible et chorégraphique, et la recherche de sources historiques, techniques et scientifiques sont autant de moyens d’investigations pour relever, traiter et transcender le terrain.

L'épaisseur temporelle

 

L’archéographie est pratiquée dans des lieux où les enjeux liés à l’aménagement d’un territoire ouvrent des espaces de renégociation. Imprégnée des réalités d’un lieu, l’archéographie prend place dans l’histoire en mouvement et propose un temps d’arrêt : un temps pour s’imprégner des passés multiples et des futurs envisagés, pour laisser émerger l’imaginaire au sein d’un réel pluriel. Pour s’approprier et inventer le futur, l’archéographie s’attache aux événements du passé qui continuent d’agir sur le paysage du présent. La démarche d’archéographe se préoccupe de la manière dont les couches successives du temps se reflètent à la surface et agissent encore aujourd’hui.

Par l’immersion et l’émersion, il s’agit de faire monter à la surface la part peu nommée, mal nommée ou invisible des choses. Les danseurs archéographes développent une capacité de mise en relation qui vient donner une consistance à ces superpositions temporelles, par le mouvement.

Un imaginaire tangible : du réel attesté vers le réel possible

 

Les artistes archéographes ne sont ni des explorateurs, ni des chercheurs. Néanmoins, en passant de l’enquête à la fable, c’est le réel qu’ils touchent, transposent, transcendent. Les archéographes partent des lieux tels qu’ils sont. Ils cherchent à être contraints par la réalité. C’est seulement à partir de cette immersion que nait l’imaginaire, pas avant. Il s’agit de ne pas imposer d’emblée un imaginaire formaté.

Ainsi, l’archéographie consiste à passer du réel attesté au réel possible. L’acte artistique est pleinement considéré comme un acte qui agit dans le réel, par l’imaginaire. Autrement dit, l’imaginaire constitutif de la création révèle une part du réel et agit sur la réalité.

Multitude des légendes d’un lieu

 

Les habitants, les passants, les travailleurs et les acteurs locaux que nous rencontrons sont au coeur du processus de création. Ils sont les détenteurs de l’histoire quotidienne des lieux. Par leurs récits, ils écrivent la fable de ces espaces publics vécus. Ainsi, ils nous font entrer dans la fiction et posent les jalons de notre proposition artistique. Leurs récits font entendre la pluralité des points de vue et des expériences.

L’archéographie dévoile les légendes qui habitent la ville, et inscrit le présent d’un lieu dans un récit, pour transformer durablement le regard et le vécu. Par la mise en récit poétique de la ville, les archéographes proposent d’agir dans le réel en créant de nouveaux possibles à s’approprier et à investir.

Paroles d'archéographes

« Ils ont des pratiques de fantômes amoureux. Tout un peuple revenu épouser les espaces comme on enfile une peau ou qu’on rentre chez soi. Souriant comme des gosses, ils se font détectives en jouant. Ils explorent partout. Parfois, c’est un bout de bambou, du carton découpé ou une femme à sa fenêtre qui aide à affronter une place trop grande pour être traversée d’un seul élan. »

Christine Coutris, archéographe de TANGIBLE, extrait du livre Archéographie en Pays de Bièvre, p. 14.

 

« Ainsi leurs corps sont-ils des curseurs entre le naturel et le bâti. Des curseurs et des ponts. Ils se glissent sous les éclaboussures d’eau de pluie, dans les taillis urbains et les interstices polis. Décryptent les encoignures et les dépôts de salpêtre. Mesurent et tracent avec soin. Pas une graminée s’élançant d’une déchirure de bitume ne leur échappe. Ni l’haleine exhalée par les fissures des portes closes. La tâche sur le mur leur parle comme un ami revenu depuis un coin oublié du temps. »

Christine Coutris, archéographe de TANGIBLE, extrait du livre Archéographie en Pays de Bièvre, p. 10.

 

L’artiste archéographe se nourrit :

 

# De témoignages, d’histoires racontées
# D’archives écrites
# D’objets conservés
# D’objets qui ont perdu leurs usages
# De détritus, de dépôts, de sédiments
# D’études techniques, archéologiques, géologiques, hydrauliques
# D’ondes, de flux, de vibrations

Les archéographes s’emparent des histoires mineures, conformes ou non à la grande Histoire : archives imaginaires, archéologie fantastique, légendes ou narrations subversives, musée fantoche. Petit à petit, ils (re)constituent le puzzle d’un imaginaire et d’une légende des lieux.